messager d’aujourd’hui, prophète de demain
par Brigitte EGGER-BÉARN
Cela rendit Dieu malheureux, Il n’avait pas créé la Vie Pour devenir en anarchie Un lépreux.
Mon propos ne sera ni d’ordre bio-bibliographique, ni d’ordre historique, c’est-à-dire, tourné vers le passé. Tous ces éléments existent déjà, notamment dans ce numéro spécial. Ce qui m’importe, ce qui me passionne même, c’est de montrer, de démontrer, pourquoi nous avons tous et toutes besoin d’un homme comme Pierre Béarn, de son écriture, de SA poésie, pour nous aider à rester solidement ancrés dans notre humanité, en ce début de 3e millénaire, féroce de compétitivité, banal à crier dans sa pseudo-recherche esthétique, désolant dans son laxisme devant l’urgence de revenir à des valeurs réelles. Mieux que tout bavardage, je veux lui donner la parole à travers des extraits de poèmes, où Pierre Béarn, mieux que ne le ferait toute kermesse anti-mondialiste fourre-tout, s’insurge contre la robotisation de l’homme, la surpuissance des multinationales, la dépersonnalisation de nos cultures individualistes au profit d’un mode de vie sans goût, sans parfum, sans couleurs, et, trop souvent, sans but, sans finalité. Au profond des Démences
Matière au pouvoir infini dans les navigations sommaires des particules de survie te voilà devenue l’esclave des englués des connaissances.
L’inconnu n’est plus que banal et l’infini n’est plus qu’un mot
Au seuil du Doute fondamental la science est devenue servile. Pour la curée des appétits la science imbue a pris ses aises
Les véhicules du Savoir aux infernales vérités
sont victimes de leur puissance
Que dire de plus ? Toute notre révolte jusque là impuissante, tout notre désespoir devant la réalité qui fait de nous l’apprenti sorcier, asservi par ses découvertes, se retrouvent résumés d’une façon magistrale. Nous voulons tous que cela change, mais, pour que cela change fondamentalement, sommes-nous prêts à changer nous-mêmes ? Sinon, que sera notre sort dans un avenir imprévisible mais redoutable ? Dans la jungle apeurée de l’au-delà stellaire l’indifférence est-elle notre seule punition ?
dit Pierre Béarn. Pierre Béarn, lui qui aura parcouru un siècle, messager d’aujourd’hui, prophète de demain, nous aide à comprendre, nous aide à nous situer, nous guide dans notre détresse confuse, quelque soit notre âge, quelque soit notre profession, pourvu que nous prenions la peine de lire intensément, de nous remettre en question. Car, il nous faut réapprendre à nous regarder en face, afin de pouvoir regarder l’autre, et aller plus loin que le tangible, le fonctionnel, sans pour autant tomber dans le piège utopique de pouvoir revenir en arrière. Progrès, quelle folie t’anime dans tes créations de robots et d’immatriculés-conceptions ?
Le soleil ne sait pas que la nuit va répondre mais tout sur notre terre est silence aux questions
Tout dort en sa mort attentive. Par ce constat, dans sa brutalité lucide, Pierre Béarn, le poète, le visionnaire, avoue son impuissance, il sait se montrer humble. Face aux explosions démographiques qui n’alertent quasiment personne, autrement, au lieu de déplorer les catastrophes humaines, des actions efficaces, multipliées, mondialement concertées seraient entreprises pour endiguer cette démence, qui est pourtant à la base de la misère de tant de peuples démunis, même Dieu a l’air de se résigner Mille hommes sont de trop sur la terre en guenilles mille hommes cultivant le feu pour niveler cent mille villes mais que peut le semeur au soir du couvre-feu ?
Cela rendit Dieu malheureux, Il n’avait pas créé la Vie pour devenir en anarchie
un lépreux. Dans les Civilisations anciennes, celle de la Grèce antique, celle des époques de gloire où triomphait un Islam éclairé, dont les représentants sur terre écoutaient les poètes et les musiciens pour mieux préparer l’avenir, l’avenir de tous, celle des Pharaons où l’homme lettré, celui qui savait immortaliser sur le papyrus la parole qui pesait son poids, dans pratiquement toutes les grandes civilisations disparues, le poète, le chantre, avait un rôle primordial à jouer. Ce rôle a malheureusement disparu au profit d’un noyau d’intellectuels qui n’écrivent que pour eux, au profit de loisirs où le préfabriqué mental triomphe au détriment de la créativité. Pierre Béarn s’en désole, et, après avoir dénoncé maintes et maintes fois cette absurdité, il s’avoue dépassé par notre pseudo-civilisation à visage de plus en plus inhumain. J’étais debout sans bras vide au creux du bruit vide en chandelier vite oublié
Poètes perdus en multitudes il vous reste à percer du doigt sous l’oeil dédaigneux des cygnes
les ballons enfantins du rêve Mais, le voilà debout à nouveau, furieux, osant crier sa rage, il lutte encore, tenace, implacable, il veut reconquérir l’âme perdue, il veut à nouveau mériter pour ses frères, le Graal, l’ultime récompense Je crie, je hurlerai, ma douleur est de rage je ne veux pas souffrir par caprice de Dieu je me veux éternel, vérité et mirage je me veux désaveu
Si nous payons péché qu’il soit de la famille Je te renie Adam ! S’il me faut en chemin m’habiller de guenilles
que je sois seul errant. Avec tendresse, avec amour, il vient vers nous, pour nous prendre par la main, pour essayer de nous remettre, en dépit de tout, en dépit de nous, sur le chemin de l’espoir, après tant d’errances infertiles : Ô mes aveugles de l’humain le bonheur usurpé de la paix aura-t-il encore un visage qui puisse vous devenir familier ?
Après vos semailles d’aveugles que pourrait encore souligner
le sourire à préserver d’un enfant ? A nos interrogations, à notre quête de spiritualité, qui aboutissent souvent dans l’impasse d’un exotisme frelaté, car, rares sont ceux parmi nous, les occidentaux, qui ont vocation de s’engager sur le chemin épineux et implacable des vraies religions ésotériques de l’Asie qui nient notre conception occidentale du plaisir et de la propriété, bref, en écoutant le message contenu dans les poèmes de Pierre Béarn, même dans ceux écrits il y a plus de cinquante ans mais revus depuis, sa parole est claire : la réponse à nos questions n’est pas une recette toute faite. A la limite, il n’y en a pas ; c’est cela, la réponse, difficilement acceptable. Ceux ou celles d’entre nous, qui ne peuvent se reconnaître devant le miroir aux alouettes d’un paradis promis, où femmes sont éternellement vierges, ni par le mythe d’une sainte vierge ayant conçu le fruit sans connaître les joies du don charnel, restent évidemment dans le néant, à la dérive sans gouvernail Mais, Pierre Béarn est là, qui s’efforce, malgré nous, de nous sauver de la noyade. Lui, le chantre, lui, l’homme toujours debout, lui, le prophète méconnu, qui parle hélas trop souvent dans le vide, en arrive à se questionner devant Dieu : Par nos mains de péché par l’imperfection de notre corps par le désert le plus reculé de Ta création par notre âme faite à Ton image mais que nous crucifions en nous accorde-nous la grâce de la FOI
Puisque la Mort nous attend et que nous marchons dès le premier pas vers elle puisque Tu nous as fait naître aveugles et dispensés du choix de nos vertus
accorde-nous la grâce de la FOI
Voilà, ce que je voulais vous montrer, voilà en quoi, Pierre Béarn nous intéresse, voilà en quoi il nous est indispensable, vital, car, jamais l’angoisse de l’individu n’a été aussi grande qu’aujourd’hui, en ce début d’une ère nouvelle qui sonne peut-être le début de la fin… Mais, Pierre Béarn n’abdique pas, à cent ans encore il voudrait porter notre croix, et, en cela, sans s’en rendre compte, il devient aussi notre guide spirituel, remettant ainsi en lumière le rôle ancien du chantre visionnaire et sacré : Je souffre en ma santé des maladies humaines du refus d’un miracle à l’ombre de mes mains de n’être en ce bourbier que peine entre les peines.
Être Dieu soudain… quelle revanche ! dit-il à la fin des fins.
par Emmanuel Hiriart http://perso.wanadoo.fr/emmanuel.hiriart/index.htm
Couleurs du temps Laissons passer le temps qui passe, laissons le courir dans la presse ; regardons danser le temps qui tourne, celui des mots et des saisons, le temps dont les contes tissent les robes du désir. La saison de Pierre Béarn, c’est le printemps “car le printemps c’est le bonheur de pouvoir moissonner l’hiver” c’est le temps du surgissement, des sèves fortes, de l’allégresse et de la fantaisie, de l’amour, de l’inachevé parfois. Une saison moins simple que ne le laisserait penser son apparente insouciance : “Gémeaux j’ai mal j’ai mal j’ai maux d’être à la fois nuit jour la lune et son reflet, le soleil et l’éclipse, le rêve et le réel, le dédain et l’amour deux jumeaux émergés d’un oeuf d’apocalypse” S’il sent déjà l’été (surtout le 15 juin, date de naissance du poète !) le printemps Béarn se souvient aussi de l’hiver. S’il y a des heures où “le monde avait changé de forme et nous dormions sur lui car nous étions libérés l’herbe parlait et nous n’étions plus étrangers dans le champ” il y a aussi des jours plus froids où “Dans la maison du bord de l’eau ma voix cherche ta voix
et rencontre un écho moqueur”
Certes on peut se consoler en se souvenant que l’absence a le pouvoir de “changer la lune en soleil” mais il faut admettre avec lucidité que “la beauté n’a qu’un printemps vient un jour où tout s’effondre la mort est un aliment”. Le bonheur n’a qu’un temps, et s’accompagne toujours dans les poèmes de Béarn de la conscience de sa propre fragilité. Ce peut être source d’inquiétude, parfois d’angoisse, mais le poète prend de plus en plus souvent le parti de s’émerveiller des métamorphoses du temps, en spectateur sans illusions, comme on regarde rêver les nuages : “Le ciel était surpeuplé d’une foule d’ours blancs qui tout en se chevauchant. semblaient tous paralysés alors qu’ils donnaient naissance avec une lenteur troublante à des bêtes vêtues de neige dans l’ampleur du sortilège”
Couleurs du feu Pas d’illusion donc : “les mots ont des couleurs changeant avec la lumière
on ne saurait les faire parler que de l’instant.
les mots qui t’ont conquise sont les mots qui te perdent” Cependant la lucidité n’est pas résignation : même s’ils deviennent plus détachés avec le temps, les poèmes de Béarn sont animés du feu d’une révolte libératrice. Révolte contre un monde sans âme, contre tout ce qui déshumanise l’homme. Par exemple le travail à la chaîne : “les têtes des chaîneux morts à la vie qui passe stagnent cloc, cloc, glou, glou, cloc, cloc, le massacre dolent des figurants de cette foire met sur le lit circulatoire les têtes moissonnées du décapitement
et quand le contremaître ayant atteint le bout se retourne enfin vers la chaîne il découvre miton mitaine un régiment de mains torturant les écrous”. Ce monde déshumanisé est le royaume des chiffres “collés comme des mouches/sur nos chaînes condamnées” d’hommes “décapités de Dieu”. Béarn nous invite à rejoindre dans sa révolte “le peuple libre des dauphins qui tressait sur le dos des flots une guirlande de zéros” Les vers des fables, eux, se jouent des mètres académiques. Ils sont mesurés, mais Béarn adopte, pour les diérèses et les e muets, l’usage courant d’aujourd’hui, chantant sa propre guirlande : “un flamant rose à l’air fragile sur ses deux pattes d’allumette voulait jouer de la trompette”. C’est dans les fables en effet, du moins à mon goût, que la liberté de Béarn, moraliste amoral amoureux de la Vie (avec une majuscule, en général) trouve sa plus sûre expression, dégagée des considérations discursives qui affaiblissent me semble-t-il certains de ses poèmes militants. Et puis cette forme de fiction poétique convient à ce poète double qui a toujours aimé les masques : dans les divers recueils de L’arc-en-ciel de ma vie et dans les Dialogues de notre amour il fait l’homme sous toutes ses formes : la femme, le marin et l’ouvrier, et même le nègre (au sens de Senghor et des négro spirituals) “Nous sommes la nuit des faces noires en marche vers la lumière la nuit des faces noires qui montent vers l’aurore Nous sommes les affamés Du soleil et de la liberté (...) Nous voulons que la nuit de nos coeurs Se dissipe Et que devienne lumineux Notre corps Nous voulons que s’illumine dans la joie Notre coeur de douleur Notre corps semblable aux autres” Dans le jeu des masques s’élabore une valorisation de la diversité, de l’individuation (dont l’imagination, la fantaisie sont pour Béarn de puissants outils) dans le respect mutuel : un amour.
Couleurs d’amour La poésie de Pierre Béarn n’est pas seulement révolte, elle est aussi, et d’abord, célébration (parfois dans le même mouvement). C’est l’amour en effet qui pour elle donne sens et valeur à la Vie : “Avant toi Les mots n’étaient que fruits verts Éparpillés en jonglerie Et voici soudain naître en fusée Des mots qui brûlent Des mots nouveaux Plus vieux que nous Dont la saveur nous illumine Des mots flétris qui ressuscitent Afin qu’à notre tour nous naissions au printemps Amour ! Je prends enfin conscience de ma voix”. C’est ici la totalité des Dialogues de notre amour qu’il faudrait citer, long poème dialogué de l’amour, du désamour et de l’approfondissement de l’amour dans le désamour, poème de la fusion et de l’affirmation de soi. Dans ce cantique des cantiques d’aujourd’hui le sens de l’image de Béarn s’exprime de façon plus grave que dans les fables, mais avec une égale réussite. L’amour comme la poésie y passe par la fiction, par le rêve conscient que le mouvement du texte remet en cause pour le rapprocher de son centre. L’amour est amour de la femme, et d’abord amour physique, mais aussi amour spirituel (le lecteur aura remarqué au fil des citations qu’il y a chez notre poète un vrai souci de spiritualité, en dehors bien entendu de l’ordre des Églises), amour de l’amour. Je choisis en guise de conclusion une strophe qui me semble, avec bien d’autres, condenser ces qualités dans son humanité tendue, comme une dernière invitation au voyage de la lecture ou de la relecture : “Pacifié dans les herbes noires ton visage est une lune attardée dans le miroir d’un étang Violant la lumière de ton front mon ombre y fait glisser des nuages qui la caressent Mais ton corps n’est plus qu’un paysage prisonnier d’un rêve et j’hésite à détruire tes reflets de lune.”
ou l’écriture du paradoxe
par Carine Bledniak
Défenseur de la Terre, avocat des oppressés, ennemi de la guerre, s’insurgeant contre la pauvreté, les différences raciales et autres calamités de notre société, Pierre Béarn est sans conteste profondément humain, comme l’ont noté la plupart de ses commentateurs. Pourtant, le chêne centenaire, sûr de lui, aux positions inébranlables déconcerte aussi parfois par l’aspect trop singulièrement vindicatif de ses poèmes ou par les contradictions qui semblent émailler son oeuvre. Ces « failles » ne relèvent-elles pas pourtant elles aussi de l’humanisme de Pierre Béarn, un homme, qui en tant que vrai poète « [écrivant] avec son sang », se dresse, authentique, dans le maquis de ses contradictions ? En effet, notre poète ne se targue pas d’exprimer un idéal, son oeuvre n’est pas utopie, elle est celle d’un homme qui s’exprime librement et sincèrement. Rempli d’espoirs et perclus de doutes, se caractérisant par une sorte de bi-polarité propre à l’homme, oscillant entre la révolte et l’éloge de la vie, ses écrits, ses « cris » pour ainsi dire, accentuent la « nature tragique et intervallaire de l’homme » pour reprendre l’heureuse expression de René Char. Cette thématique constante du paradoxe est particulièrement prépondérante lorsque l’auteur aborde des sujets importants tels que Dieu. Dans « Pour ou contre ? », il le défend avec verve, le disculpant : « Dieu ne saurait être coupable C’est nous qui sommes responsables
en maquillant ses créations » Pourtant, dans un autre poème, nous entendons : « Mon chapelet n’est plus qu’un lasso sans emploi. » ou encore : « Tu restes Le Coupable écartelé de honte
d’avoir oeuvré sans réfléchir » Dans cette oeuvre, on identifie tantôt certaines réminiscences bibliques, tantôt on retrouve la doctrine de la réincarnation quand notre poète ne se présente pas comme carrément athée à d’autres endroits. Quittant le ciel pour revenir à l’humain, il adopte la même attitude se « [voulant] chair dans la chaleur des hommes » malgré qu’il considère les hommes comme une « affreuse imperfection ». De même, son acte d’écriture est toujours accompagné d’une remise en question : il conjugue avec beaucoup de sensibilité création poétique et réflexion critique, se pensant « Magicien sans pouvoir » mais persévérant dans cette entreprise pourtant coûte que coûte. En outre, il endosse différents visages, amoureux transi dans Les Dialogues de notre Amour, volage dans Les Passantes. Dans sa poésie, des fables d’une légèreté déconcertante côtoient des poèmes sombres aux accents apocalyptiques. Une telle ambiguïté se traduit aussi dans ses écrits par une syntaxe de l’antithèse mais aussi par une attitude de « montré-caché » (qui correspond à la co-appartenance du visible et de l’invisible qu’a mise en évidence Michel Collot). Ainsi, l’oeuvre de Pierre Béarn est une effigie aux multiples facettes, lumineuse et désespérée. Son écriture est unique en ce début de siècle. Contrastant avec la tendance actuelle qui est de tendre au silence (Jacques Roubaut, Denis Roche), Pierre Béarn combine deux types d’écriture : si les thèmes qu’il aborde sont d’une modernité évidente, il est aussi quelque peu traditionaliste, renonçant au « je » impersonnel prôné par la majorité des poètes actuels. Ce n’est pas étonnant ! Pierre Béarn pénètre dans le troisième millénaire fort d’un siècle d’existence ! S’il vit à notre époque, il est tout empreint d’un long passé. Ayant écrit toute sa vie durant, le résultat final ne peut être que savamment et plaisamment disparate, dans la forme comme dans le fond. Comme notre poète aime à le préciser, rares sont les écrivains français ayant vécu et écrit jusque 100 ans ! Plein de ressources, il recourt d’ailleurs à de multiples écritures (écritures oratoire, didactique, scientifique, lyrique, biblique, familière etc.) qui engendrent des ruptures de ton qui font l’originalité et le charme de cette oeuvre. Cette synthèse antithétique s’exprimant dans de nombreuses formules n’assure-t-elle pas la dynamique de l’être béarnien, c’est-à-dire le mouvement existentiel initial qu’il habite et qui le raccorde à ce qu’il entoure ? La puissance d’expansion de son être, expansion multidirectionnelle, résiderait alors dans cette tension des contraires, dans ce rassemblement de virtualités opposées et octroierait la force exceptionnelle que nous connaissons à l’oeuvre prodigieuse de Pierre Béarn.
aux couleurs de la vie
par Michel Bénard
La vie, la poésie, la lutte sociale, l’espoir humaniste universel et aussi l’écologie bien avant que le mot ne soit de mode, avec Pierre Béarn on ne compte plus. Oui, effectivement avec Pierre Béarn nous n’osons plus inventorier, soixante-dix, quatre-vingts ans d’action, d’engagement au service de l’homme, de la poésie, de la littérature, pour tout vous dire, le célèbre sculpteur Russe Zadkine, le peintre Brayer et le graveur Tamari furent les illustrateurs de ses premiers recueils, telles Les Passantes aux éditions Rougerie, Zodiaque et Jean Grassin, incontestables sceaux de référence, alors vous voyez l’histoire n’est pas nouvelle. D’ailleurs notre personnage trouva sans doute très anecdotique d’ouvrir les yeux sur le monde et de conjuguer sa naissance avec celle d’un siècle pour le moins haut en couleurs : en 1902. Pierre Béarn est une sorte de monolithe de la poésie, une espèce de franc tireur humaniste dans tous les sens du terme, car bien au-delà de son oeuvre personnelle qui est déjà d’une remarquable ampleur : poésies, romans, nouvelles, fables, revues, dont l’éclectique Passerelle. Il est bon de souligner en ces périodes où le nucléaire fait encore beaucoup trop parler de lui que Pierre Béarn fut l’un de ses premiers détracteurs. « Et vous les serviteurs des sciences homicides Savants que l’esprit désavoue Qui façonnez notre suicide
Quelle haine vous hante et quels Dieux servez-vous ? » De son vivant Marc Chesneau m’avait un jour écrit que : « La poésie est une ferveur qui s’exprime au nom des hommes. » et qu’il avait : « la nausée de l’étiquette politique comme dominante d’une oeuvre. », et encore que c’était : « dans l’humain que l’on devait s’engager, pas dans les proclamations d’un parti. » Il me semble que cette ferveur de l’humain est bien le mot clé de toute l’oeuvre et l’action de Pierre Béarn. J’ai retenu un texte remarquable symbolisant parfaitement tout l’esprit, toute la pensée, toute l’abnégation d’une vie au service de la littérature et d’un total engagement par l’acte de poésie. Ce texte se veut à la fois didactique, éveilleur de conscience, d’une grande lucidité révélatrice, poétique également : les images les plus évocatrices y pullulent, assurément nous sommes ici devant une écriture aux parfums prophétiques. Ce poème Refus d’héritages provoqua en moi, un appel, un signe de secrète complicité associé à une réelle émotion. A lui seul, ce poème prélude et survole toute une oeuvre, il est un cri indissociable de la vie, le pourquoi d’une mission en poésie. Le texte n’a pas vieilli, bien que déjà ébauché en 1951 et 1952, les cendres de Stalingrad, de Berlin, d’Hiroshima et de Nagasaki sont encore tièdes, nous sommes en plein début de la guerre froide. C’est peut-être pourquoi plus que jamais ce texte est d’actualité, plus que jamais il s’adresse aux jeunes, puissent-ils être nombreux à l’écouter, à le découvrir en ce début de siècle hypothétique où les maladies, les épidémies que l’on pensait éloignées reviennent en force, où la guerre s’installe de nouveau et où le chômage règne, alors que l’occident dans sa superbe mais illusoire supériorité se croyait naïvement préservé de tous ces fléaux. Oui, ce poème, hors du temps, s’adresse à tous les hommes, sans aucune distinction. Il est vital de hurler ce poème, de réveiller les esprits assoupis et égarés par le pléthore de fausses valeurs. Par ce texte Pierre Béarn, renie, rejette l’accumulation de siècles d’erreurs, de mensonges, d’aliénations collectives, de civilisations d’orgueil, de pouvoir aveugle et arbitraire, de haine ancestrale, ce vieux mythe d’Abel et de Caïn. Ce poème est une prophétie authentique, un hymne universel, un espoir de lucidité pour les générations présentes et à venir.
Humanité maudite, O frères de misère murés dans la suie du dédain et qui vivez à ras de terre avec l’espoir, dépouillé de sa peau, pour gain.
La lâcheté englue trop tôt vos mains d’esclaves hommes promis aux fossoyeurs qui retrouvez avec les caves la grotte ou vos aïeux avaient cloîtré leur peur.
Le feu qui les sauva se venge sur vos têtes c’est le cycle du feu ferme en un vol dompté de comètes cernant au cou comme un carcan l’Humanité.
Travailleurs des métaux qui forgez votre mort pour des salaires de vivant quelle hydre de folie vous mord ? Qui de vous peut encore s’espérer survivant ?
Et vous, les serviteurs des sciences homicides savants que l’esprit désavoue qui façonnez notre suicide quelle haine vous hante et quels dieux servez-vous ? xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Boursouflant l’horizon des forêts et des villes de la Baltique à Odessa la peur mêlant hommes et rats s’apprête a déferler sur l’Occident débile.
Par les routes connues des conquérants bottés la Peur se hâte en marche lente fuyant les lumières démentes de cent mille soleils brusquement éclatés.
L’Asie se vide en trop plein de sang qui déborde sur l’Europe scandalisée Ah ! Que fait donc le Crucifié ? N’entend-t-il pas l’Humanité qui se saborde ?
Houles de foules léchant le seuil des maisons confinées dans leur égoïsme décapitées d’impérialisme mendiant le pain du pauvre et quémandant pardon. Et puis boursouflement de honte et de colère qui noie de hardes les parvis marque d’enfer le Paradis et fait sauter les murs des bonheurs éphémères.
Que pourrait l’Occident sous la poussée du flot ? L’Occident est de porcelaine et moins chanceux que fut Athènes il deviendra l’Asie échappée du chaos.
Mille hommes sont de trop sur la terre en guenilles mille hommes cultivant le feu pour niveler cent mille villes Mais que peut le semeur au soir du couvre-feu ?
Que nous sert de crier dans le vide éternel ? Que nous sert d’être libres encerclés de silence ? Chaque homme porte en lui la mort de l’arc-en-ciel.
Le soleil ne sait pas que la nuit va répondre mais tout sur notre terre est silence aux questions Tout dort en sa mort attentive.
Dans la jungle apeurée de l’au-delà stellaire l’indifférence est-elle l’unique punition ? xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Astres tranchés du ciel tombant en lunes molles dont le sang lumineux illuminait nos nuits était-ce Toi hurlants labours, ferrailles folles trains de bruits aériens fonçant sur nos réduits ? Cathédrales en feu étouffées dans le plâtre des voûtes éclatées et des Christs sans clous Satan dressé sur les débris de Ton théâtre mon Dieu était-ce Toi soudain devenu fou ?
Tes hosties profanées dans l’horrible vidange et tes cloches fondues au creuset d’anarchie Dieu, par les tiens renié, que faisaient donc tes anges ? Pas une main pour préserver tes effigies !
Reims et Rouen, Cologne, Hambourg, Lubeck, Berlin, Choeurs éventrés sur les autels comblés d’ordures que faut-il réussir en meurtres inhumains pour réveiller ce Mort à l’ancienne blessure ?
Je crie, je hurlerai, que l’orgueil me gracie À genoux me voici dépiautant ma colère avec au bout des doigts dix étoiles flétries je me sens de nouveau encloché dans la terre. xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Rien, sauf infiniment de sang n’effacera les feux de l’aube et de la nuit du nucléaire. Mais n’est-on pas toujours perdant dans l’enchère des connaissances ?
Des interminables semailles de l’Histoire multipliée il reste des brassées de fleurs pourprées de folies et de haines.
Des entonnoirs de la mémoire le sang s’affaisse sur nos mains.
Dans la cendre des métropoles et des civilisations désossées deviendrons-nous en démesure des crânes cascadant en foules à la recherche de la vie ?
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